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LE SAUVETAGE DE NÉPOMUCÈNE

pas d’histoire…, mais que la statistique n’ignore point.

Il n’en voulut pas démordre. Il raconta aux siens, il raconta à Callemarre, il raconta au numismate et à l’assyriologue l’aventure telle que sa cervelle l’avait conçue au sortir de la pâmoison. Contrairement à M. Perrichon, la reconnaissance ne lui était pas à charge. Non seulement il voulut m’avoir pour secrétaire, il me prodigua les gratifications, mais il me fit traiter comme un fils par Nicolas et la femme-peintre ; et lorsqu’il s’aperçut de mon inclination pour Colette, il la favorisa scandaleusement…

Le soir des fiançailles, il mena les invités dans son cabinet de travail :

— Je vais vous faire une surprise, dit-il.

On voyait, pendu à la muraille, un cadre voilé. Il le découvrit. Un tableau apparut, qui représentait un homme emporté par les flots et un autre qui se précipitait, héroïquement, à son secours :

— Il a plongé trois fois ! murmura Népomucène avec attendrissement. Sans lui, je dormirais sous la froide terre !… Sans lui, mon grand œuvre, les Statistiques des Crimes et des Traumatismes, demeurait à l’état d’ébauche.

Ainsi, je connus pour ma joie combien l’illusion est supérieure à la plate réalité et de quelles rencontres hasardeuses dépend le sort des faibles créatures.