Page:Rosny aîné - La Mort de la Terre - Contes, Plon, 1912.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui un enthousiasme mystique ; des faces déferlaient, des yeux mornes s’emplissaient de feu, une espérance démesurée rompait le long atavisme de la résignation. Et les membres du Grand Conseil eux-mêmes, perdus dans l’être collectif, s’abandonnaient au tumulte.

Targ seul pouvait obtenir le silence. Il fit signe à la foule qu’il voulait parler ; les voix s’éteignirent, la houle des têtes s’apaisa ; une attention ardente dilatait les visages.

Le veilleur, se tournant vers cette lueur blonde qu’Érê mêlait aux chevelures sombres, déclara :

— Peuple des Terres-Rouges, l’eau que j’ai découverte est sur votre territoire : elle vous appartient. Mais la loi humaine me donne un droit sur elle ; avant de vous la céder, je réclame mon privilège !

— Vous serez le premier d’entre nous ! dit Cimor. C’est la règle.

— Ce n’est pas cela que je demande, répondit doucement le veilleur.

Il fit signe à la foule qu’on lui livrât passage. Puis, il se dirigea vers Érê. Quand il fut près d’elle, il s’inclina et dit d’une voix ardente :

— C’est entre vos mains que je remets les eaux, maîtresse de mon destin… Vous seule pouvez me donner ma récompense !

Elle écoutait, surprise et palpitante. Car de telles paroles ne s’entendaient jamais plus. Dans un autre moment, à peine si elle les eût comprises.