Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/135

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puissants. C’était une âme libre. Il ôtait difficilement une casquette moulée sur son crâne et n’avait jamais flanché devant les patrons. Quoiqu’il se délectât aux lectures et aux réunions révolutionnaires, ses opinions fluctuaient. En général, il réclamait la suppression du haut patronat, mais, selon qu’il avait plus ou moins de chances de s’établir à son compte, il dénigrait ou préconisait la petite industrie.

Perregault avait épousé la sœur d’Adèle, petite femme à forte base, à peau poreuse, qui menait la vie d’une squaw. Elle obéissait à la voix d’Alphonse avec une rapidité instrumentale ; elle eût même été propre, s’il l’avait exigé ; mais il n’y tenait point. Et elle avait donné au menuisier deux fils trapus, aux faces vermeilles, aux yeux lazulite, qui se distinguèrent par l’entêtement et une santé de fer.

Le mélange des deux familles fut d’abord une défaite complète pour les Bossange. Adèle plia comme sa sœur devant le redoutable Perregault. Le comptable, déchu, inerte, songea que sa race allait tout entière s’engloutir dans la plèbe. Mais il se fit une sélection imprévue. Armand, lorsqu’il eut seize ans, se sépara des fils Perregault. Après avoir commencé un apprentissage, il se sentit plein d’horreur pour la vie ouvrière, il fréquenta les cours du soir.

Ce jeune garçon ramassa au hasard une science obscure et délicieuse. Il pénétrait dans la connaissance humaine comme dans une religion. La tête emplie d’une genèse où dansaient les iguanodons et les astres, la loi des trois états et la concurrence vitale, la flotte de Thémistocle et l’histoire des religions, il goûta l’enthousiasme merveilleux que connaissent seuls, dans sa plénitude, les jeunes hommes pauvres. Chez eux, cet enthousiasme est pur de satiété, pur aussi des disciplines fades, des règles menues, subtiles et délicates qui plissent la pensée et la sensation. Le jeune Bossange pataugea dans