Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/157

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des travailleurs du livre. Il le regrettait. Depuis qu’il avait donné sa signature, il subissait cent menues servitudes.

Surtout l’attitude de certains ouvriers l’exaspérait : ils avaient l’air de ne pas le connaître, ils arrivaient à l’atelier comme des gens d’une autre race, disaient à peine bonjour, coupaient leur besogne, quelle qu’elle fût, à la seconde même où sonnait l’heure de la sortie, accueillaient les observations avec roideur, dédain, gouaille, ou même faisaient mine de ne pas les entendre. Les mêmes hommes s’appliquaient à ne jamais dépasser une certaine ration de travail et blâmaient vertement ceux qui en faisaient davantage ou consentaient au coup de collier. Tout travail à la tâche était une indignité. Ils y voyaient la source du chômage et le malheur de l’artisan. Et l’un d’eux, pointu et goguenard, un jour que le père Boucharlat le harcelait, avait tiré de sa poche un fragment de la Voix du peuple et l’avait tendu au patron.

On y voyait des dessins, intitulés : Ouvrier, prends l’outil et Prends la terre, paysan. Le premier représentait deux artisans joviaux et un individu en redingote, grêle, chauve, effaré, à qui l’un des ouvriers disait : « On vous réserve votre place à l’établi !… Et vous savez, ce n’est plus aux pièces ! »

Sur l’autre dessin, un personnage en blouse et de forte structure, interpellait un bourgeois hobereau, le nez tombant dans la moustache, furieux, craintif : « Hé ! le ci-devant, y a pour vous une chaise à la tablée commune et une pioche à vot’ disposition. »

Boucharlat avait machinalement saisi le papier. Quand il vit les estampes, la colère lui fit trembler la barbe :

— Vous êtes une tête de veau ! hurla-t-il.

Des rires sournois ricochaient, zigzaguaient, tour-