Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/221

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La masse humaine oscilla, les petits fanaux des yeux s’orientèrent tous ensemble vers la scène : le belluaire venait de paraître. Il avançait sa stature trapue, sans hâte, connaissant l’exiguité du tréteau et l’âme des foules, tandis que Combelard clamait glorieusement :

— Le camarade Rougemont a la parole.

Il prit son temps, sûr de soi-même, la mémoire pleine et solide, les réflexes prêts au jeu de la parole. Puis, élevant sa petite main énergique :

— Camarades, il vous faudra ce soir de la patience et de la bonne volonté. Car vous allez entendre des choses qu’il n’est pas toujours facile d’exprimer clairement ; et de plus, vous serez appelés à comparer deux doctrines sociales ennemies. Je fais appel à vos meilleurs sentiments…

Une courte pause ; déjà les mains claquaient, déjà aussi s’élevaient des murmures. La guerre et l’amour croissaient dans les poitrines.

— Pour ma part, je vais vous entretenir du syndicalisme et de l’idéal communiste. Camarades, on nous a souvent reproché de vouloir construire une société comme on construit une locomotive ou une automobile, à l’aide d’un plan et de formules fixes. Et l’on nous a dit : « Vous confondez les choses de la matière inerte et les choses de la vie, vous croyez que les hommes sont pareils à des rouages ; vous ne tenez pas compte de ce qu’il y a d’obscur et de mystérieux dans le développement d’un individu et d’une société. » Ces reproches ne sont pas tout à fait injustes. Il y a beaucoup de révolutionnaires qui croient encore que la société nouvelle pourra s’élever d’un seul coup et qu’il suffira de lois et de règles pour la faire vivre. Je ne dédaigne pas cette foi. C’est grâce à elle que, dès la grande Révolution bourgeoise, des hommes comme Babeuf ont pu semer la bonne graine. C’est grâce à elle que les saint-simoniens et les fourriéristes nos grands-pères de 1848 et