Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/251

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pas un demi-pied de plus qui fait les vrais colosses…… Je t’avalerais !

La bagarre l’avait saoulé. Il possédait cette confiance de l’homme qui n’a jamais touché des deux épaules. Chaque fois qu’il était entré dans une baraque, il avait « tombé » les lutteurs. S’il n’avait pu vaincre complètement Laurent le Boulonnais, champion de Paris, c’est qu’on avait dû interrompre le match. Il attaquait Alfred avec la certitude d’une victoire, sachant que le colosse ne pratiquait aucun sport et estimant que lui, Varang, avait autant de force, avec plus de résistance :

— J’en ai roulé de plus longs que toi ! ricanait-il.

— À la lutte ! À la lutte ! s’acharnait le garçon boucher.

Il se fit un nouveau vide. Les Six Hommes et la cohorte jaune cessèrent de taper. Le petit Taupin et le Déroulède firent trêve. Seuls les Sambregoy, Dutilleul et l’Homard s’acharnaient à la bataille.

— Sur la scène ! cria Isidore.

Varang, frottant l’une contre l’autre ses paumes houilleuses, se préparait au combat avec méthode, bien calé, l’œil au guet. Alfred, homme sanguin, qui s’aveuglait devant le danger, prit une vaste inspiration et se précipita. Ses poings sonnèrent ; on vit saigner une pommette du charcutier. Puis les membres énormes se nouèrent. Varang, les cils mi-clos, distillait un regard mince comme une étincelle électrique. Les yeux d’Alfred saillaient avec des miroitements d’eau courante. On voyait s’enfler leurs cous, les veines saillir en cordes bleues, les faces, à chaque étreinte, devenir plus bestiales.

Alfred fila en l’air. Varang le balançait pour rendre la chute plus lourde, mais le colosse, pesant d’instinct sur la face violâtre, sut amortir la chute et retomber sur ses pieds. Les halètements reprirent ; le charcutier esquissa des crocs-en-jambe et des prises de tête.