Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/254

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La masse entière s’ébranla.


Christine n’avait pas voulu s’éloigner. Debout, face à la foule, elle considérait avec un sourire amer ce déchaînement où elle reconnaissait les instincts qui s’opposent aux entre-aides profondes, les haines qui exigent la contrainte, les férocités qui ne plient que sous la force.

Deslandes tentait de l’entraîner. Elle refusait, elle était saisie du besoin de braver la foule, qui est au fond des âmes autoritaires. Lui-même, convulsé par la défaite, se serait jeté dans la bataille, s’il n’eût fallu protéger la jeune fille.

Tout craquait. La masse communiste arrivait irrésistible ; des revolvers luisaient aux mains fiévreuses ; les deux Sambregoy tenaient toujours leurs épées prêtes. Et une bande de fuyards, envahissant la loge jaune, rompait la charpente, se piétinait dans un délire d’épouvante. Étreinte par des corps chauds et haletants, Christine essaya de se dégager : la masse de chair s’épaississait, son poids devenait intolérable, des cris d’épouvante, des râles d’asphyxie s’élevèrent…

Soudain, une voix descendit sur la multitude. Par sa force, par son rythme, elle rompit les rumeurs discordantes. Et les révolutionnaires reconnurent Rougemont. Il abaissait vers la salle un visage affligé, des yeux pleins de reproche ; ses bras se levaient en croix ; il criait :

— Vous voulez donc que cette salle soit envahie par la police ? Vous voulez que les exploiteurs se réjouissent de vous voir passés à tabac, que les juges fassent moisir les meilleurs d’entre vous dans les prisons ? Camarades ! vous gaspillez misérablement votre énergie, vous faites le jeu de vos ennemis, vous allez passer pour des brutes intolérantes…

Déjà l’attention naissait dans les cervelles ; la mi-