Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/261

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des barrières jusque dans leurs gestes, non, je ne réussis pas à comprendre !

Plus d’une fois pourtant, songeant à Christine, il avait compris. Il se souvint de ce soir où l’idée d’une race issue d’elle lui avait paru belle et profonde. Aujourd’hui, c’était pire. L’esprit de jalousie rongeait son âme et cette jalousie n’était pas même restreinte, elle s’élevait contre tous les êtres. Il concevait qu’on pût opposer l’amour de cette fille à l’humanité entière et cesser, pour elle, d’errer au gré des circonstances.

Par-dessus tout, il se sentait un pauvre  homme solitaire, qui avait une grande peine au cœur et qui ne devait compter sur personne pour le guérir.

— Ou sur le temps, murmura-t-il. Il suffira d’attendre !

Mais l’idée du lendemain a-t-elle jamais apaisé une émotion violente ? Dans nos grandes crises, on dirait que la prévoyance s’abolit et même qu’elle nous devient ennemie. Nous sommes ressaisis par l’urgence primitive, où toute sécurité est bannie, et nous ne voulons pas guérir.

Rougemont le savait bien, tandis qu’il s’avançait au long du fleuve. L’image de Christine fut la réalité victorieuse, devant laquelle toute chose s’efface ou se subordonne.

« Pourtant, se disait-il, ce soir même, quand je parlais devant elle, elle était encore supportable ! Ah ! pourquoi ? »

Il éprouvait avec naïveté le miracle des circonstances, ainsi qu’il arrive aux hommes qui s’occupent plutôt du maniement d’autrui que du leur propre. Pas plus qu’il ne s’attardait à se regarder au miroir, ne s’attardait-il à scruter le jeu de ses impressions : il en connaissait le gros et, pour le détail, restait d’une ignorance surprenante. Si de petits événements internes, après s’être longtemps accumulés, révélaient soudain leur force, il en était