Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/263

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tendront : seulement c’est pas la peine. Je ne vous veux aucun mal. Nous allons arranger ça à la coule.


Les brutes l’écoutaient, fascinées par son accent et la netteté de sa parole dans ce moment difficile. Lui, voyant passer sur leur visage quelque chose de l’expression des foules, s’enhardit encore :

— Nous sommes des hommes, et nous allons agir en frères… Voyons ma fortune.

Il mit la main à son gousset et en retira trois écus de cinq francs, plus quelque monnaie :

— Voilà ! C’est tout ce que j’ai en poche, et vrai, il faudrait que nous soyons trois fameux imbéciles, vous pour risquer les coups de ma trique et les sergots, moi pour risquer un coup de couteau.

— Savoir si c’est tout ce que t’as ! rauqua l’un des apaches.

— Regardez-moi dans les yeux : je n’ai que ça, avec ma montre en acier, dont aucun receleur ne donnerait plus de trois francs… et que voici !

Il avait un tel air de sincérité que les bandits sentirent se dissiper leurs doutes :

— Ben ! ça va… aboule et tu seras quitte !

— Vous ne parlez pas bien, camarade ! Il faut me laisser la montre et la menue monnaie.

— À cause ?

— À cause que ça me fera plaisir de vous quitter sans rancune ! Les trois thunes, je vous les donne de bon cœur, mais si vous me demandez aussi la montre et la monnaie, je vous considérerai comme de mauvais bougres.

Il y eut un petit silence. Les trois hommes se regardaient fixement ; ce fut une minute farouche.

— Eh bien ! t’as pas tort, reprit le plus long avec une vague bienveillance. Faut vivre, on peut pas se la caler avec des briques, mais les gonsses comme toi, on leur z’y en veut pas…