Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/294

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tude était parfaite, la brume, accrue, épaississait le silence ; jamais l’occasion ne serait plus belle. Alfred tira le poignard de sa gaine. Depuis longtemps, il savait qu’il frapperait entre les deux épaules, puis au cœur ; il s’était exercé à viser juste, son arme était minutieusement affilée… Et le rêve se réalisa, l’action poussa Casselles comme un projectile ; il enfonça la lame avec vitesse, violence et certitude. Le lieutenant poussa un cri rauque, tituba et s’étala, la face contre le sol.

« Il ne m’a pas vu ! » songea Casselles.

Ce fut une joie froide, où se mêlait de la compassion, et peut-être n’eût-il plus frappé, si une convulsion n’avait secoué le corps. Il acheva sa tâche.

— À moi ! gémit une voix de fantôme, si faible et si pesante qu’elle semblait sortir de terre.

Cette voix s’éteignit tout de suite ; il y eut un râle : sûr que l’homme allait mourir, Casselles s’enfuit sur le talus. Il s’arrêta vite, il épia le boulevard d’un œil sauvage : l’officier était toujours étendu sur le ventre ; la chaussée demeurait déserte :

« Il ne m’a pas vu !… Personne ne m’a vu !… »

Les mâchoires de Casselles craquèrent ; il acheva de gravir le talus et arriva au bord du fossé. Là, visible seulement pour des promeneurs lointains, il examina son poignard. La lame était rouge, moins toutefois qu’il ne l’aurait cru ; il s’affirma par deux fois : « Je l’ai tué ! », surpris d’être si tranquille, lorsque ses dents se mirent à claquer, une sueur à sourdre dans sa nuque.

Cette émotion passa. Il essuya son poignard dans la terre, et repartit, irrité par le froissement des herbes. Sa fuite fut interrompue par la poterne. Il fallait descendre : les dents se remirent à claquer, la même sueur glaçante jaillit sous ses cheveux, dans son cou, entre les omoplates ; il sentit ses yeux s’arrondir de terreur ; l’image de l’officier