Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/310

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion


XIII


Comme la pluie durait depuis plusieurs jours, la ville fermentait et, par endroits, semblait pourrie. Le fluide, sournois, brassait une boue d’asphalte, de calcaire et de crottin ; il réveillait la vie obscure des pierres, emplissait de sève les vieux bois, exaspérait les rouilles, rongeait les murailles, creusait les toitures. Les hommes étalaient, sous des boucliers spongieux, leur laideur, leur mélancolie, et se décelaient vieillots, pétris de la substance des cadavres qui ont fertilisé la planète. Vers dix heures, des stries de nacre balafrèrent la nue, les fumées montèrent plus droites et les chevaux s’enveloppèrent d’une buée.

Par toutes les voies, les miliciens affluaient vers la gare de Strasbourg. C’était une jeune humanité sans grâce, souvent difforme, qui suait la misère ou la crapule, visages suifeux, blafards, plaqués de safran, truffés de tannes, semés de boutons, dégradés par l’alcoolisme des ascendants et par les premiers excès de l’adolescence. À peine, de-ci de-là, apparaissait quelque structure bien conçue, quelque face fraîche, agréable ou fine. Ces colons de la caserne accouraient avec des valises, des musettes, des paquets enveloppés de toile cirée, de linge ou de papier. Ils puaient le vin ou l’eau-de-vie.

Avant d’entrer dans la gare, beaucoup se répandaient par les cafés de la place. Avec des propos agressifs, sardoniques ou obscènes, ils cherchaient