Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/324

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— Il a raison !

— Faut voir…

— Mais, nom de Dieu ! fit l’homme du règlement, qui est-ce qui en a au citoyen Rougemont ? On est tous contents qu’il est venu et je ne donnerais pas ma part de l’entendre. En quoi qu’on lui rogne la parole en proposant un ordre du jour ? Pour sûr et certain, l’ordre du jour va le mettre en tête… mais je dis qu’il faut le voter. C’est tout ce que je dis.

Le père Bougeot ne voulait pas d’ordre du jour. Il secoua la tête avec opiniâtreté et dit :

— L’assemblée donne-t-elle la parole au camarade Rougemont ?

Les trois quarts des mains se levèrent.

— La parole est au camarade Rougemont.

François ne quitta pas le banc où il s’était assis entre deux compagnons afficheurs :

— Je vous remercie, président, dit-il rondement. Mais l’assemblée aurait tort de me donner la parole par pure politesse. Ça ne me gênerait aucunement de parler plus tard. Je suis ici comme un camarade, et pas du tout comme un conférencier.

Cette déclaration détermina une levée de blouses enthousiastes ; l’homme tatillon lui-même acquiesça, d’un geste de Ponce Pilate. Alors, Rougemont se dirigea lentement vers les tables. Il n’avait pas envie de parler, son cœur était lourd, et pour se mettre en train, il affecta une attitude bourrue :

— Camarades, je suis venu ici pour dire la vérité aux afficheurs ; je ne leur passerai pas de pommade dans les cheveux… Les afficheurs sont une sorte de travailleurs libres, ils n’ont pas de maître, pas de garde-chiourme, ils vont et collent où ils veulent, se dépêchent ou lambinent : on les paye au paquet ! Cette liberté n’est certes pas un mal… bien au contraire ; mais les afficheurs en abusent ; ils se conduisent pour ainsi dire comme les patrons qui les exploitent ; ils travaillent le jour, ils travaillent la