Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/342

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Elle se baissa, cueillit une fleur de trèfle rose et la jeta au nez du révolutionnaire :

— Je suppose que vous en êtes un quand même, reprit-elle, mais c’est pas sûr. Il y a longtemps qu’on vous asticote, Georgette et moi, à seule fin de savoir. Eh bien ! on ne sait pas.

Ces paroles irritèrent Rougemont. Elles l’atteignaient dans cette vanité des vanités, au-dessus de laquelle ne plane l’orgueil ni du conquérant ni du philosophe. Il répliqua, brusque :

— Vous êtes deux petites dindes !

Elles se mirent à rire ; pourvu qu’elles n’eussent pas à redouter les coups, elles aimaient la colère des hommes. Et elles savaient bien que François ne se fâchait qu’en discours.

— Ça, c’est bien vrai… Georgette et moi, on est deux dindes ! riposta Eulalie. Même, il n’y a pas plus dindes que nous !

— On n’a pas inventé le fil à couper le beurre ! appuya Georgette.

— Mais qu’est-ce que ça prouve ? C’est comme si vous n’aviez rien dit du tout : pas la peine d’avoir une si chic platine !

La grande Eulalie souleva sa jupe sur le jupon écarlate et, esquissant un pas de pavane, tel qu’elle l’avait vu pratiquer à Bobino :

— On est des dindes, oui, mais on n’est pas plus laides que d’autres, même on est mieux que le gros tas. Alors, vrai, vous devriez être un peu aguiché, espèce de syndicaliste !

Elle passa ses doigts à travers la barbe de François :

— V’là vos « n’œillets » qui brillent ; j’espère que vous n’allez pas nous mordre.

Un moment encore, la colère gronda dans les tempes du meneur, puis il se mit à rire à son tour, d’un rire un peu rauque :

— Pauvres gamines sans cervelle, vous jouez