Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/38

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les noms de leur souffrance, elles souffrirent davantage, de connaître leur droit, elles se virent sous une iniquité incommensurable, de concevoir leur force et la crainte des autres, une férocité les souleva. Et l’Idée se mit à germer jusque dans la cervelle rétive et méfiante du paysan. Ainsi se formait cette minorité de « conscients » qui, selon l’évangile nouveau, ont le droit et le devoir de bousculer la société sans attendre l’avis des inconscients. C’est la milice révolutionnaire. Elle fera la guerre sainte, la guerre sacrée ; elle maintiendra, devant la bourgeoisie déchue, le culte de la beauté morale ; elle ramènera la jeunesse au sein d’un monde pourri. L’affaire Dreyfus, la guerre des congrégations, le régime du bloc firent pleuvoir la manne sur les révolutionnaires. Tandis que leurs politiques se hissaient au pouvoir, les syndicats accomplissaient la besogne efficace. On vit l’État accepter la journée de huit heures, consentir des privilèges et des augmentations de salaire, supporter l’anarchie, le sabotage, la malfaçon, l’incurie et la paresse, endurer la révolte de ses ouvriers et la mutinerie de ses marins et, au dehors, faire capituler les lois, la police et les fonctionnaires devant l’action syndicale.

Deux courants directeurs caractérisent cette période : la lutte pour la réduction des heures de travail et l’antimilitarisme. La réduction des heures de travail apparaît à tous les révolutionnaires comme un moyen capital de libération intellectuelle. L’homme qui travaille trop longtemps se déforme et se déprime ; il est inapte à la réflexion : c’est un élément dégradé. Le socialisme doit viser à la formation du plus grand nombre d’individus sains et conscients, capables de défendre leurs droits et de conquérir le « mieux-être ».

Tant que la servitude des longues journées pèsera sur les prolétaires, cet idéal demeurera irréalisable.