Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/397

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rains-Vagues. Isidore Pouraille annonçait la journée de deux heures et proférait d’obscures menaces contre le comte de Cullont ; Dutilleul, suivi des Six Hommes, promenait une trique éperdue du pont de Tolbiac jusqu’à la place des Quatre-Chemins ; Gourjat circulait avec des clameurs inouïes, dont il prétendait dépeindre la joie du prolétariat délivré ; l’Homme frileux, sa houppelande au vent, errait plein d’une fraternité mystérieuse ; Alfred le Rouge ne cessait de tâter ses biceps ; Vérieulx, dès le matin, était contraint de marcher le long des murailles ; Jules Béquillard avait triplé la casse ; Bardoufle escomptait des prodiges et s’arrêtait au milieu de son travail, pour balancer ses pinces et souffler d’enthousiasme ; Piston la Tomate, Baraque, Cambrésy, Margueraux, Haneuse, Clarinette, Vacheron l’Acacia, Bollacq, Vagrel, Levesque, Filâtre, Fourru, vingt autres, patrouillaient du boulevard Jourdan jusqu’aux contreforts de la Butte-aux-Cailles. Les femmes s’en mêlaient ; elles oscillaient entre la crainte du désordre, des payes fondues chez le mastroquet et l’espérance des trésors déterrés au fond des caves, des usines et des banques : en voyant la terreur bourgeoise et la bonhomie du gouvernement, elles commençaient à croire à la viande obligatoire et au pain gratuit.

Malgré qu’elles eussent, pour la plupart, le goût de la hiérarchie et le respect de la force, elles prirent alors la maladie de leurs hommes, elles la répandirent par la vertu d’un verbe abondant et de gestes épidémiques. On les voyait sur les seuils craquelés, devant la boucherie Malenboucq, dans l’épicerie mi-souterraine de Pellavoine, aux confins des jardins pouilleux, dans les terrains bosselés de tessons et de ferraille. Là, elles s’abandonnaient au plaisir divin des vaticinations. Elles se réunissaient aussi chez elles, devant du café fleurant la « mauvaise fève » et fangeux de chicorée, du pain