Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/408

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d’ordre, de vigilance, d’hygiène et de politesse !… Il n’y osait plus même penser. Détournant la tête avec un long soupir, le cœur recru de fatigue, il considéra les terrains vagues, les usines et la Butte-aux-Cailles estompée dans le matin de mai..

Lorsque les fils survinrent, Adrien dirigea vers eux sa face flétrie, avec un sursaut de tendresse. Armand apparaissait peigné, le visage, les oreilles et le cou lavés avec soin, les vêtements brossés ; ces signes d’une hérédité bourgeoise tirèrent à l’employé un sourire. Pour Marcel, il exhibait une chevelure éparse, des joues encore sales, un pantalon moucheté : la tradition d’Adèle. Tous deux aimaient le père et quand ils vinrent l’embrasser, d’un geste d’enfant, il se réjouit en son cœur. Cette jolie minute ne dura guère : les jeunes gens ne songeaient qu’au 1er mai. Afin de ne pas contrarier le père, ils se contraignaient à n’en rien dire ; mais, de-ci de-là, un mot décelait l’orientation de leurs âmes. Cette réserve finit par être plus pénible qu’une discussion ; Adrien murmura, en beurrant prudemment sa tartine :

— Il y aura certainement des désordres.

Les yeux d’Armand scintillèrent :

— Oh ! des désordres ! Ce ne serait pas la peine.

— Comment pas la peine ! se récria Adrien… que te faut-il donc ?

— La révolution ! cria impétueusement Marcel.

— Et qu’en feriez-vous, pauvres petits ? Une révolution ne pourrait apporter que la misère.

— Pas celle-ci ! certifia l’aîné d’une voix ardente. Nous ne sommes plus au temps où les révolutions se faisaient au hasard ; maintenant nous connaissons les vraies ressources du pays ; les syndicats sauraient s’en servir.

— Tu crois ça ! fit le père en haussant les épaules. Si les ouvriers connaissaient les ressources du pays, ils seraient pris de terreur, ils sauraient qu’il n’y en