Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/413

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vers un tamis, elle subissait l’ascendant de son fils.

— Les capitalistes n’oseront pas sortir ? demanda-t-elle. Et les soldats ?

— Les capitalistes se garderont bien de montrer le bout de leur nez. Quant aux soldats, ils lèveront la crosse.

Il n’en était pas sûr ; il craignait une courte résistance.

— L’armée est convertie, ajouta-t-il, la propagande antimilitariste a fait son œuvre : les soldats savent que l’ennemi n’est plus aux frontières.

— Ce soir, tous les officiers seront dans le coffre, clama Marcel, en exécutant une pyrrhique. Les plus méchants auront la hure truffée de balles ! On sort, Armand ?

— On sort.

Marcel se débarbouilla au galop et parut dans un costume où se prélassaient des brindilles de zostère, des filaments, des mouchetures, des îlots de graisse, tandis que son frère, prolongeant la tradition paternelle, revêtait un complet bleu, nettoyé à la benzine et au fiel de bœuf, des bottines cirées avec vigilance, un chapeau à qui douze mois d’usage laissaient de la fraîcheur.

— Tu as des manies de capitaliste ! gouailla le cadet. Faut s’habiller comme le peuple.

— Pas du tout ! Il faut que le peuple se nourrisse, se loge et s’habille comme les bourgeois. C’est son droit et son devoir !

— Son droit, si tu veux, mais mince de devoir ! Dans la collectivité, on s’habillera comme on veut. Moi, ça sera en Romanichel !

Dehors, ils trouvèrent le petit Meulière, Émile Pouraille, Bachelet, Rivière, Charbonneau, Chrestien, Mirabel et Micheton qui rôdaient avec impatience. Parfois, l’un ou l’autre s’arrêtait, l’œil tourné vers le quartier Saint-Jacques ou le quartier d’Italie.