Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/433

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nuée qu’étayait, à l’arrière, la pression des badauds ; on entendit le bruit excitant des semelles battant la charge. Quelques caracolades eurent raison de cette ombre d’émeute : une bande entraîna Rougemont jusqu’au quai de Valmy. Il vit naître et s’évaporer de brèves bagarres toujours engagées par les mêmes individus.

Néanmoins, le peuple y mettait quelque pertinacité. Après chaque charge, il se reformait, il enflait son bruit de torrent, il éjaculait des refrains et des injures, il invitait les dragons à jeter leurs officiers dans le canal. François se décidait à battre en retraite, lorsqu’une horde se montra, cohérente, d’allure belliqueuse et qui, aux rumeurs de la foule, joignit une clameur rythmique. Le propagandiste crut voir enfin une avant-garde de cette légion mystérieuse qui devait attirer et concentrer la multitude. Brusquement, il reconnut Dutilleul et les Six Hommes, Alfred le Géant rouge, Pouraille, la Trompette de Jéricho, Haneuse Clarinette, la Tomate, Armand Bossange, le petit Meulière, Bardoufle au torse d’anthropoïde, Pierre Laglauze, Vanneraud, Vagrel, Bollacq, Louis Marihaye, Berguin-sous-Presse, Filâtre, Levesque, Cambrésy et cinquante autres. Sa poitrine battit d’attendrissement plus encore que d’enthousiasme : c’était son œuvre, après tout, c’étaient les hommes auxquels il avait versé la bonne parole ; il était doux de les voir plus déterminés et plus disciplinés que les autres :

— Vingt mille comme eux !… et qui sait !…

Il fut plus troublé encore lorsqu’il les vit s’avancer, d’une allure martiale, presque redoutable :

— Pauvres bougres ! murmura-t-il.

Il voulut arrêter leur vaine tentative, mais un tourbillon de badauds l’aspira, le roula à travers des affluents d’hommes toujours plus tassés. Puis