pour conquérir patiemment leurs citadelles. Vous ne concevez que la guerre, la haine et la destruction, vous avez l’air de croire que le bourgeois a formé volontairement sa caste et que c’est par une sorte de méchanceté diabolique qu’il condamne l’ouvrier à la misère. C’est trop donner à l’ennemi. L’exploiteur est le plus souvent un individu ni meilleur ni pire que les autres et qui lutte au hasard.
— Nous ne voulons plus de hasard !
— C’est un beau cri d’ignorance !…
— Et pourquoi ? La science élimine chaque jour le hasard ; elle domptera la planète ! Et dès à présent, elle nous donne le moyen de produire dix fois plus avec dix fois moins de peine !
— La science… servie par d’autres hommes, oui. Mais ces hommes ne sont pas nés.
— Nous les ferons naître !
— Qui ? vous autres, les meneurs syndicalistes ? Vos programmes pourraient être rédigés par des gamins de l’école primaire.
Un pli creusait le front de Christine ; ses yeux distillaient une étrange amertume.
— Nos programmes ne sont rien, dit-il avec patience, ce sont des schémas, des guide-ânes ! Nous savons bien qu’il faut d’abord former les caractères.
— C’est vous incliner, et bien bas, plus bas que nous, devant ce hasard que vous prétendez abolir. Que savez-vous comment se formeront les hommes, si vous ignorez où vous les menez ?
— Nous ne l’ignorons pas… Nous savons que nous marchons vers une société « superindustrielle », où il ne sera plus possible à quelques individus de canaliser à leur profit l’énergie de la masse… Sans doute, on ne peut encore dire au juste comment cette société fonctionnera : mais on conçoit très bien qu’elle est possible…
— Avec la multitude, rien n’est possible…
— Mais nous comptons bien ne pas attendre que