Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/440

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Mais il les suivait, à grande distance, comme halé par une corde.


Delaborde s’était tu. Sa langue était sèche, son larynx lourd ; il avait dans les jambes la faiblesse « grouillante » des cardiaques. Enfin, il bégaya, soulevant ses mots comme des fardeaux :

— Pardonnez-moi… Je sais que ma démarche est absurde… J’aurais dû vous parler à l’atelier. Mais on n’apprend rien… Nous redevenons continuellement des enfants.

Elle écoutait avec mélancolie et méfiance. Elle avait de la tendresse pour ce gros homme poussif, bénévole et généreux. Indulgente à sa hâblerie et ses mensonges, sachant qu’il avait l’imagination prompte et qu’il se pipait lui-même plus encore qu’il ne pipait les autres, jamais elle ne l’avait trouvé dur ni perfide. Il conduisait ses affaires avec bonhomie, rétribuant les travailleurs sans avarice et leur venant en aide aux jours noirs ; il avait toujours été excellent pour Marcel Deslandes, qu’il aimait et redoutait, meilleur encore pour Christine.

— Mais il n’y avait qu’à me faire appeler ! dit-elle avec bonne grâce.

— Non ! Je n’aurais pas pu, je n’aurais pas osé. J’ai préféré, sachant que vous deviez passer par ici, un ridicule coup de tête. Dans les grands moments de la vie, j’agis en joueur… Je risque ma chance sur la rouge ou la noire.

— Oui, fit-elle, vous avez le goût du jeu… Je le déteste.

— Ne devons-nous pas le meilleur de la vie aux événements dont nous ne voyons ni la suite exacte ni les causes ? Enfin, je ne m’excuse pas… Je veux dire…

Il avait les joues moites et presque la démarche d’un ataxique.

— Savez-vous, reprit-il précipitamment, que, dès