Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/444

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pira-t-il. Je sais que vous avez raison, Christine, et c’est si terrible ! La mort est là, sur ma nuque, c’est là qu’elle me frappera… J’ai mal fait de vous parler de mon amour, j’ai mal fait et je ne pouvais me taire. Ayez tout de même pitié de moi… restez ma fille, ma chère enfant… promettez que je vous reverrai comme d’habitude. Oh ! si vous alliez me fuir — quels jours et quelles nuits !…

— Je ne vous fuirai pas ! s’écria-t-elle. Pourquoi vous fuirais-je ? Comme je vous aimais hier, je vous aimerai demain.

— Oui, n’est-ce pas ? Mon amour est une trop pauvre chose pour mériter votre rancune. C’est dit, c’est promis, rien n’est changé ?

Il avait pris la main de Christine. Elle ne la retirait point. Elle était « recrue de compassion ». Il étreignait cette main, d’un geste lent et pitoyable, il balbutiait :

— Songer qu’il y aura un homme qui tiendra cette petite main comme je la tiens, et qui sera jeune, et qui sera aimé ! Effroyable vieillesse ! Je comprends la mort, oui, je la comprends. Dans toute ma chair, quelque chose sent bien qu’il faut que cela finisse. Mais vieillir ! Pourquoi devenir une loque misérable, une ruine dédaignée par la nature et par les hommes ? Pourquoi ce visage flétri, ces yeux sans lumière ? Savoir qu’on est vieux, le lire sur le visage de la femme qu’on aime, et qui méprise, qui doit mépriser votre amour. N’est-ce pas, Christine, vous avez pitié de moi ?

— Oui ! oui ! gémit-elle, une pitié ardente… une pitié infinie ! Vous aurez du courage, grand ami, vous voudrez que cette crise passe. Il ne pouvait y avoir que du malheur dans ce que vous avez désiré, de la défiance, de la jalousie, et quel accablement !

— Je ne sais pas, ma chère petite enfant. J’aurais donné le reste de ma vie pour quelques mois de ce malheur-là. Enfin ! c’est impossible. Ai-je ja-