Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/463

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rigea vers le patron un œil humilié et bafouilla :

— Je surveille, m’sieu Eugène.

— Ah ! tu surveilles, hurla l’autre, dont les orbites semblaient prêtes à cracher les yeux. Tu as passé de treize à dix-huit sous l’heure, tu te feras chaque jour neuf beaux francs… et tu surveilles et tu laisses pousser un poil gros comme un câble dans tes pattes !

Le vaste Bardoufle aurait préféré recevoir une gifle sans la rendre. Il tournait vers Lehoudeaux de bons yeux de chien, il sentait ses pieds coller au sol et ses fémurs peser comme des meules :

— Dans la terrasse, tonnait le patron, le chef de chantier donne l’exemple, c’est lui qui porte les meilleurs coups. Bâti comme tu l’es, il n’y en a pas un seul, de Grenelle à Ménilmontant, qui est capable de te faire la pige !

— Pardon, excuse, intervint l’homme à gueule de loup. C’est le règlement du syndicat.

— Je m’en f…! rauqua l’entrepreneur.

— Faudrait aller le leur dire, fit sournoisement Isidore, vu que vous avez accepté le règlement. Si Bardoufle mettait la main à l’ouvrage, ça serait notre devoir de nous y opposer, pas, camarades ?

Les camarades, selon leur tempérament, éjaculèrent un : « Pour sûr ! » persifleur ou crachèrent un « oui » oblique. La rage et l’impuissance enflaient Lehoudeaux ; il fit le geste de les chasser tous : haletant, rauque, saisi d’une telle haine qu’il les aurait envoyés à l’échafaud, il s’éloigna.

— Il a son baluchon ! fit l’homme à tête de loup.

— Il le gardera sur les reins ! appuya Isidore.

Une vaste rigolade secouait les faces pesantes.


À la sortie, François Rougemont se montra. Les terrassiers l’acclamèrent ; leur victoire lui fut douce. Il voulait voir en eux ces « conscients » dont la Voix du peuple chantait l’âme nouvelle :