Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/507

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sur une charrette à bras. D’ailleurs, il ne lui aurait pas déplu d’emmener ses compagnons là-bas, surtout quelques individus solides, qui se croyaient sûrs d’une longue vie :

— On se f… de crever ! toussa-t-il.

L’indécision des agents s’aggrava. Une odeur d’humanité chaude, des faces mauvaises, des yeux troubles, les enveloppaient. Et il y avait des triques.

La porte se rouvrit :

— M. Delaborde recevra la délégation.

Tout de suite, Alfred et une douzaine d’hommes se précipitèrent.

— C’est pas un métingue, s’exclama le domestique.

— T’occupe pas, ma vieille, le patron ne sera pas fâché de nous revoir en troupe, rigola Duchaffaud en repoussant Ernest avec douceur.

Trois ou quatre petites brocheuses le cernaient aimablement. Et la grande Eulalie, qui venait d’arriver avec Georgette, affirmait :

— On est des petits moutons… on ne mangera personne.

La foule coulait. De joyeux chômeurs se glissaient avec les autres, pour faire bonne mesure ; sept ou huit voyous entrèrent avec leurs dames.

— J’veux pas ! clamait encore Ernest.

Les sergents se désintéressaient. Puisqu’on « recevait » la délégation, ils préféraient attendre.

Déjà Alfred, Berguin, l’homme de la Fédération, l’avant-garde, pénétraient dans le hall, devant la rotative silencieuse. Une lueur froide, tamisée aux rideaux violets, enveloppait les balustrades, les courroies de transmission, les presses plates, les établis, la machine à ébarber. Trois typos jaunes, perdus dans la solitude, un homme de peine et quelques brocheuses battirent en retraite :

— V’Là la foire aux cochons ! hennit Duchaffaud.

— La corde au cou ! hurla Barbe-Verte.