Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/515

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de Lachambre, de Lalaing, de Méchard, elle touchait même Burgas qui, secouant lentement sa tête de mort, croisait les bras sur sa poitrine ; elle séduisait les femmes et agissait jusque sur les voyous.

François ne voyait que Delaborde et Christine. Elle avait pris l’éditeur par le bras, elle le soutenait, filialement. Lui, blême encore et tremblant des jambes, sortait de sa stupeur ; il enveloppait la tête brillante d’un regard adorant, il était dans un demi-rêve où s’enchevêtraient la crainte et le bonheur. Quand il comprit que les chômeurs s’apaisaient, il fit un grand souffle et s’essuya la joue avec son mouchoir ; puis, une colère brusque le saisit :

— Vous pouvez vous vanter d’être d’ignobles brutes, bégaya-t-il d’une voix bizarre, une voix de ventriloque, qui semblait monter du sol. Je vous ai reçus, plein de confiance, tout seul… malade… sans avoir pris l’ombre d’une précaution. Quels cochons ! et quels lâches ! Et vous voulez qu’on améliore votre sort ?… Votre sort est beaucoup trop beau pour vos sales âmes… vos âmes de gorilles.

Christine l’entraînait. Il se laissait faire. Il balbutiait, il titubait, il secouait son bras libre. Quand il fut au haut du grand escalier, abaissant sa face vultueuse vers la foule, il déclara :

— Je jure… je jure sur mon honneur, qu’aucun de ceux qui sont ici présents ne reprendra le travail dans ma maison ! Aucun, vous entendez bien, aucun, aucun !

Et sur le seuil de son bureau, retrouvant sa voix de clairon :

— Fichez le camp tout de suite… ou je vais vous faire expulser par la police.

— Pas avant d’avoir chambardé ta sale boîte ! hurla Méchard Haute-Épaule.

— Non, camarades, fit gravement François, vous ne commettrez pas de nouvelles violences ! C’est assez d’avoir compromis une grève qui était belle,