Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/538

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dureté criminelle, votre ignoble rapacité qui ont tué ces hommes !

Des ricanements farouches, des cris de pourchas rauquèrent : devant les bureaux de l’administration, on vit détaler une trentaine d’hommes que des grévistes traquaient :

— Les Jaunes ! Les Jaunes !… À mort !… À la fournaise !…

Les malheureux se tassaient contre une façade, les yeux étincelants de détresse, et comme amaigris par la peur. Seul Jambloux faisait bonne contenance et regardait en face le ressac des têtes, les bouches homicides, les moulinets des gourdins :

— Qu’on les saigne ! croassa Dutilleul.

Il s’élançait avec les Six Hommes, lorsqu’un personnage épais, aux bras trapus, au grand visage pourpre surgit de l’administration. C’était le chef de guerre des forges, l’ingénieur Michel, âpre, calme et dédaigneux, qu’on estimait pour sa justice rugueuse, qu’on détestait pour sa volonté invincible. Il croisa ses bras avec calme et gronda :

— Qu’est-ce qu’il y a ? Qui vous a permis de venir ici ?

Il gardait l’attitude et la voix du maître. Sentant recroître en eux l’âme des esclaves, les hommes du fer s’entre-regardaient. Mais Rougemont riposta :

— La mort et la justice !

Il s’interrompit, épouvanté : deux nouvelles silhouettes venaient de surgir. C’était d’abord le corps agile, la face vigilante et orgueilleuse de Marcel Deslandes. Il bravait la foule, mais elle ne reconnaissait pas sa force, et sa seule présence eût ranimé le feu des injures. Une puissance étincelante et douce le protégeait : Christine, apparue sur le seuil, étonnait les brutes mêmes et jetait un sortilège aux âmes indécises. Pour François Rougemont, la grève, les morts, la révolution s’enfonçaient dans le pays des ombres, une stupeur d’amour le pa-