Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/59

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Il y eut un léger silence, puis Rougemont déclara :

— Vous avez, je crois, établi un atelier de reliure. Je ne refuse pas d’y venir parfois, mais, en général, je travaille à la maison. Il y a aussi des périodes où il faut peu compter sur moi.

— Je l’entends bien ainsi. Il suffira de savoir à peu près ce que vous pouvez réaliser par quinzaine.

— Par-dessus tout, il faut que je réussisse ! ajouta le meneur avec un sourire. Rien ne prouve que je ne vais pas rater l’essai quoique, en définitive, je connaisse bien mon métier.

— Vous réussirez ! s’écria Delaborde, qui détestait les formules pessimistes. L’homme qui a couvert le Rabelais de Montefiore sait se tirer des pattes… Maintenant voulez-vous voir mes ateliers, car vous savez que je suis un affreux cumulard : éditeur, typographe, relieur — toute la harpe ! J’ai créé un organisme dont je tire vanité.

— Vous ne l’avez pas créé tout seul ! fit Rougemont par manie révolutionnaire.

— Comment, je ne l’ai pas créé tout seul ! clama l’éditeur en dansant d’indignation. Et qui donc m’aurait aidé ?

— Quand ce ne serait que les mécaniciens, les typographes, les relieurs, les graveurs, les illustrateurs ?

— Ces pauvres diables ! ricana Delaborde avec mépris. Mais ils n’y sont pour rien ! Mais aucun d’entre eux n’a la plus légère idée de ce qu’est une machine d’ensemble… et une machine originale encore, car il n’en existe pas une seconde dans toute la France. Non, vous me faites rire ! Les ouvriers, je les paye, et autant qu’ils valent, allez, étant donnée la fortune du pays. Les relieurs artistes fondent ici leur renommée. Les graveurs et les illustrateurs font des affaires pour leur propre compte, et croyez bien qu’ils ne perdent rien à montrer leur talent par l’in-