Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/64

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fleurs populaires. Mais elle saurait se défendre contre les catastrophes. Car, indifférente au lendemain, oublieuse comme une petite négresse, l’âme fondante et délicieusement amorale, presque étrangère à la jalousie, après chaque liaison, elle retomberait sur ses pattes, toute prête aux aventures nouvelles.


Elle entreferma les paupières comme si elle était myope, sachant que ce geste affriandait les hommes. Puis, elle s’exclama :

— Eh donc ! c’est l’homme à la belle barbe. Vous avez joliment prêché aux Enfants de la Rochelle !

Elle le considérait avec une hardiesse alanguie ; il pensa que la jolie petite femelle empêcherait maints travailleurs aux sens vifs de haïr leur misère. Ils connaîtraient gratuitement le luxe de cette jolie chair et n’envieraient pas le bourgeois. Même après la rupture, imprégnés d’une trop charmante caresse, ils poursuivraient son image dans le troupeau errant des ouvrières.

L’amour, surtout l’amour facile, avait, de tout temps, contrarié le syndicaliste. L’amour vit sur la savane ; les rêves solidaires l’effarouchent ; il est individualiste et vit du présent. Celui qui le tient ou le poursuit avec trop d’ardeur, ne l’imagine pas plus désirable dans une société future.

— Oui, c’est moi qui ai prêché ! répondit-il en souriant malgré lui à cette appétissante créature.

— Même que vous en avez une platine ! Une fois, j’ai témoigné à la cour d’assises, pour l’affaire de Sophie Boucheron. Ben ! l’avocat n’a pas mieux blagué que vous… et c’en était un fameux. On dirait que vous gobez vous-même vos histoires.

— Je les gobe ! affirma gravement Rougemont, et je cherche à les faire gober aux autres, pour leur bien.

— Leur bien ! s’esclaffa-t-elle. Vous êtes rien den-