Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/72

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voix alourdie, vous êtes la seule, hélas ! à qui je ferais le reproche de trop travailler. Vous vous fatiguez.

— Oh ! non, répondit-elle. Si je me sentais lasse, je me reposerais.

Elle ajouta, avec un demi-sourire :

— Je me reposerais sans remords. Je sais bien que je fais mon devoir.

— Ce n’est pas du tout faire votre devoir ! intervint Rougemont avec une nuance d’aigreur. Vous abusez de votre adresse et de votre santé, vous établissez des records que les patrons sont trop disposés à considérer comme des tâches courantes.

Elle tourna vers lui sa face heureuse et résolue :

— Ce sont des théories mesquines. Elles feraient des hommes de pauvres créatures, sans énergie et sans initiative. Chacun selon ses forces et à chacun selon ses œuvres. On aidera les faibles, s’il le faut, mais on n’agira pas en faible.

Elle ajouta fièrement :

— D’ailleurs, je ne travaille pas à l’heure, je travaille aux pièces. Selon moi, c’est l’avenir. Cela permettra, à la longue, de vendre la marchandise-travail ce qu’elle vaut.

— Vous oubliez la machine ! ricana le meneur. C’est elle qui fera les pièces. L’homme ne sera qu’un instrument de surveillance et de comptabilité.

— Je ne l’oublie pas. Mais c’est faux. L’homme qui surveillera la machine est le même qui « camelotte » des heures. Il y aura toujours un travail personnel pour l’énergique et l’intelligent.

— Il y aura mille places de surveillance contre une seule d’initiative. Allez, la machine la fera mathématiquement, cette égalité qui vous terrorise.

— Elle ne la fera pas.

— Vous n’avez jamais visité une caserne de la grande industrie ?

— Je vous vois venir. Vous allez me parler de la