Page:Rossel - Histoire littéraire de la Suisse romande des origines à nos jours, tome 1, 1889.djvu/89

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Plusieurs des pièces composées en l’honneur de l’inconstante sont très bien venues. Elles ont je ne sais quel charme touchant, elles respirent je ne sais quelle tendresse adorablement naïve. Ce rondel n’est-il pas délicieux :


S’il ne vous plaist que j’aye mieulx,
Je prendray en gré ma tristesse.
Mais, par Dieu, ma plaisant maistresse,
J’amasse plus estre joyeux !

De vous suy si fort amoureux
Que mon cuer de crier ne cesse.
S’il ne vous plaist que j’aye mieulx,
Je prendray en gré ma tristesse.

Belle, tournez vers moy vos yeulx,
Et veez en quele tristesse
J’use mon temps et ma jeunesse.
Et puis faites de moy vos jeux,
S’il ne vous plaist que j’aye mieulx.


Que d’abandon, que de délicatesse, que d’émotion et de grâce ! Ce n’est point de la passion exaltée et impérieuse. Nous aimons ces notes douces et pénétrantes, qui chantent la mélancolie des amours défuntes. Le virelai suivant — inédit, je crois — n’est pas moins exquis :


Je vous aime, je vous désir,
Je vous vueil doubter et servir ;
Je suis vostre où que je soye,
Je ne puis sans vous avoir joye,
Je puis par vous vivre et mourir.

Oncques si fort ne vous aymay,
Oncques tant ne vous desiray
De tout entier le cuer de moy.

Vostre servant suy et seray.
Jamais aultre ne serviray
Je le vous jure par ma foy.

Loial amour me fait sentir,
En penser et en souvenir,
Vostre beaulté que je verroye
Moult voluntier, se je savoye
Que se fust bien vostre plaisir.

Je vous aime, je vous désir,
Je vous vueil doubter et servir,
Je suis vostre où que je soye.
Je ne puis sans vous avoir joye,
Je puis par vous vivre et mourir.