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ACTE II

LES AILES QUI BATTENT


Un an après, au palais de Schœnbrunn

Le Salon des Laques.

Tous les murs sont couverts de vieilles laques anciennes dont les luisants panneaux noirs illustrés de petits paysages, de kiosques, d’oiseaux et de menus personnages d’or, s’encadrent de bois sculptés et dorés, d’un lourd et somptueux rococo allemand. La corniche du plafond est faite de petits morceaux de laque. Les portes sont en laque, — et les trumeaux se composent d’un morceau de laque, plus précieux.

Au fond, entre deux panneaux de laque, une haute fenêtre à profonde embrasure de laque. Ouverte, elle laisse voir son balcon qui découpe, sur la clarté du parc, l’aigle noir à deux têtes, en fer forgé.

On voit largement le parc de Schœnbrun :

Entre les deux murailles de feuillage taillé où s’enchâssent des statues, s’étalent les dessins fleuris du jardin à la française ; et loin, tout au bout des parterres, plus loin que le groupe de marbre de la pièce d’eau, au sommet d’une éminence gazonnée, silhouettant sur le bleu ses arcades blanches, la Gloriette monte dans le ciel.

Deux portes à droite ; deux portes à gauche.

Entre les portes, deux lourdes consoles se faisant vis-à-vis. Et, au-dessus des consoles, dans des boiseries dorées que surmonte la couronne impériale, deux orgueilleux portraits d’ancêtres autrichiens.

Cette pièce sert de salon à l’appartement qu’habite le duc de Reichstadt dans une aile du château. Les deux portes de gauche ouvrent sur sa chambre, qui est celle-là même où Napoléon Ier coucha lorsque — deux fois — il habita Schœnbrunn. Les deux portes de droite ouvrent sur l’enfilade des salons que l’on traverse lorsqu’on vient du dehors.

Le prince s’est installé là pour travailler : grande table couverte de livres, de papiers et de plans ; une immense carte de l’Europe à moitié déroulée. Autour de la table, plusieurs fauteuils empruntés à la Gobelin-zimmer voisine, médiocres bois dorés recouverts d’admirables tapisseries.

Au premier plan, à gauche, un peu en biais, une psyché dont on ne voit que le dos de laque noire.

Sur la console de gauche, pieusement rangés : un bonnet de grenadier français, des épaulettes rouges, un sabre, une giberne, etc., et, appuyé au mur, contre la console, un vieux fusil à bandoulière blanche, la baïonnette au canon. Sur l’autre console, rien.

Dans un coin, sur un meuble, une énorme boîte. Un peu partout, des livres, des armes de luxe, des cravaches, des fouets de chasse, etc.

Au lever du rideau, une dizaine de domestiques sont rangés sur une seule ligne devant le comte de Sedlinsky. Il les interroge. Un huissier est debout près de lui.