Page:Rostand - Chantecler.djvu/18

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Or, ce bruit, nous voulons que, ce soir, on l’écoute.
Et, pour se mettre un peu, déjà, dans le décor,
Qu’on rêve, en l’écoutant.

Penché, le Directeur tend l’oreille aux bruits qui commencent à venir de la scène.

Qu’on rêve, en l’écoutant.Un pas… est-ce une route ?
Une aile… est-ce un jardin ?

Et comme le rideau palpite, il crie précipitamment :
Ne levez pas encor !

Penché de nouveau, l’oreille tendue, il continue, notant les bruits, vagues ou précis, mêlés ou distincts, qui ne vont plus cesser d’arriver à travers la toile.

Une pie, en jetant son cri, prend la volée,
Et l’on entend courir de gros sabots de bois :
C’est une cour… mais qui domine une vallée
Puisqu’on entend monter des chants et des abois.

Voici que peu à peu l’action se situe.
Rien ne crée aussi bien l’atmosphère qu’un son.
— Une vague clarine a tinté, puis s’est tue :
Puisqu’une chèvre broute, il y a du buisson.

Il doit même y avoir un arbre dans la brise
Puisqu’un bouvreuil dit l’air qu’il a dans le gosier.
Et puisqu’un merle siffle une chanson apprise,
Il faut bien qu’il y ait une cage d’osier.

Le bruit qu’en remuant fait une carriole…
Le bruit pesant d’un seau qui remonte trop plein…
Le bruit léger d’un toit qui joue à pigeon-vole…
Oui, c’est bien une cour de ferme ou de moulin.

De la paille s’agite ; un loquet se déclenche :
On est près d’une étable ou d’un grenier à foin.
La cigale : il fait beau. Des cloches : c’est dimanche.
Deux geais ont ricané : la forêt n’est pas loin.