Page:Rostand - Chantecler.djvu/58

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LE MERLE, montrant sa cage.

Tu picores toujours deux grains. J’ai deux soucoupes !

PATOU.

Moi, je suis plus tranchant !

LE MERLE.

Moi, je suis plus tranchant ! Tiens, parbleu ! toi, tu coupes !
Tu n’es qu’un vieux barbet de Quarante-Huit ! — Moi,
Je suis, dame ! un oiseau très averti.

PATOU, brusquement, s’élançant vers lui, mais il est retenu par sa chaîne.

Je suis, dame ! un oiseau très averti. De quoi ?
— File ! ou ton croupion de noir deviendra rose.

Le Merle s’éloigne rapidement. Et Patou rentre dans sa niche en disant :

Maintenant il est averti de quelque chose !

CHANTECLER.

Calme-toi ! C’est un air qu’il prend ! La vérité,
C’est que, s’il était mis devant de la beauté,
Ce Merle applaudirait !

PATOU.

Ce Merle applaudirait ! Pas des deux ailes, certes !
Qu’attendre d’un oiseau dont la cage est ouverte,
Qui voit le chèvrefeuille et le sempervirens,
Et rentre pour manger un vieux biscuit de Reims !

LE MERLE.

Il n’a pas l’air de s’en douter une minute :
Le pâle braconnier n’est qu’une sombre brute !

PATOU.

Je sais que les sous-bois sont pleins d’un or léger !

LE MERLE.

Oui : mais en un plomb vil cet or peut se changer.
La grive est un oiseau si grivois qu’il s’esbigne
De peur d’être rôti dans des feuilles de vigne ;
Alors, faute de grive… Hé !… Il serait fâcheux
Que je fusse fauché par un vieux Lefaucheux !

PATOU.

Le grand cerf trouve-t-il sa forêt moins superbe
Parce que son sabot rencontre un soir dans l’herbe