Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/30

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siècles. — Charlemagne… Roland… hélas ! il n’est plus là, celui vers lequel je me serais instinctivement tourné en prononçant ces noms. Au seuil même de Roncevaux, j’ai quitté, un soir, Gaston Paris. Je l’avais accompagné jusqu’aux derniers lacets de Valcarlos. Il poursuivait son voyage. Je voulus redescendre pour n’être pas en tiers entre Charlemagne et lui. Debout sous un chêne qui ressemblait à son génie, près d’une source qui ressemblait à sa conscience, il me dit adieu de la main. Puis, au tournant de la route, il disparut… comme il vient de disparaître : pour continuer de monter ! — Messieurs, on n’écrit pas la Fille de Roland sans devoir quelque chose à Gaston Paris. Bornier lui doit d’avoir mieux respiré l’air des cimes carolingiennes. Aussi les plus farouches admirateurs de notre vieille épopée, au moment où ils se lèvent menaçants contre le poète coupable d’avoir donné une fille à la plus virginale des héroïnes, s’arrêtent, surpris, et lui pardonnent, charmés, tant cette Berthe qui, lorsqu’elle aime Gérald, va droit à lui et lui dit seulement : « Je vous aime, Gérald ! » est bien la fille de cette Aude qui, lorsqu’on lui annonce la mort de Roland, ne dit rien, et tombe morte.

Tragédie chrétienne et non, comme on l’a cru, drame à panache, la Fille de Roland est une œuvre simple. M. de Bornier n’a pas eu à se refaire une simplicité, opération qui laisse toujours quelques traces. Ses personnages sont réellement grands, assez grands pour pouvoir se passer même de panache… Ah ! le panache ! Voilà un mot dont on a un peu abusé, et sur le sens duquel il faudrait bien qu’on s’entendit. Qu’est-ce que le panache ? Il ne suffit pas, pour en avoir, d’être un