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Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/40

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sur un berceau, cet homme fut pris d’une sorte de folie des blancheurs. Il prévit la rencontre de ses livres et de son enfant, voulut que son enfant pût toujours lire tous ses livres, — et son enfant était une fille ! N’est-il pas logique et ravissant que l’élève des marquises, l’ami de la première communiante, le vibrant féministe n’ait eu qu’une fille, et que l’éblouissante candeur de son œuvre ait cette explication pleine de grâce ?…

Parfois, dans le doute ou le blâme,
À l’heure où les cieux sont couverts,
Une ombre me passait sur l’âme…
Mais l’ombre n’est pas dans mes vers.

Si j’avais cédé, lâche ou traître,
Au démon que j’ai combattu,
Je sais qui me louerait, peut-être…
Toi, ma fille, que dirais-tu ?

Ces vers sont exquis. Ce n’est pas à dire qu’un poète soit toujours obligé de contenter tout le monde et sa fille. Et nous nous en apercevons un peu dans la pièce même où M. de Bornier s’est donné pour sujet la responsabilité de l’écrivain. Le voilà obligé de peindre le vice en un drame qui est fait pour prouver qu’il ne le faut pas peindre : il est pris dans un cercle vertueux. Tandis qu’il travaille au Fils de l’Arétin, il s’épouvante lui-même de ses audaces ; il accourt vers Mme de Bornier en s’écriant : « Jamais on ne pourra supporter tant d’horreurs ! j’écris des choses abominables !… » Ah ! il aurait fallu nous montrer, dans toute la beauté de sa honte, dans toute sa bouffissure sanglée de velours blanc, glorieux et obscène, pourri de débauches et de talent, commodément installé dans le mépris pour