Page:Rostand - Les Musardises, 1911.djvu/70

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56 LES MUSARDISES .

De tous les maux humains elle reste ignorante. Souvent les malheureux l’ont maudite, en voyant Qu’elle les regardait en ne s’apitoyant Jamais, et que devant leurs souffrances cruelles Ses fleurs gardaient leur joie et fleurissaient plus belles, Et qu’elle n’était rien qu’un merveilleux décor ! Mais, pour nous qui l’aimons, c'est bien plus dur encor, Pour nous, ses amoureux, les peintres, les poètes, Puisque enfin nos douleurs par elle nous sont faites ! C’est de son seul amour que l’artiste est martyr. Ne peut-elle donc pas à ses maux compatir, La toujours insensible et sereine Nature, Ou paraître savoir tout au moins sa torture ?

Mais non ! — Et si jadis, forêt, finaude forêt, Si, dans son désespoir, celui qui t’adorait Était allé se pendre, un soir, à quelque branche, Cela n’aurait pas fait faner une pervenche, S’attrister un iris, pleurer un chèvrefeuil ! Tes roses d’églantiers n’auraient pas pris le deuil De leur pauvre amoureux, en fermant leurs pétales ! Calmes auraient souri tes hautes digitales ! Tes oiseaux n’auraient pas éloigné leurs ébats Et n’auraient pas jasé ni chansonné plus bas