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16 L’ART THÉÂTRAL MODERNE.

salon moderne, un ornement royal, ou une blouse faite à la mécanique. Le naturalisme moderne ne retient cependant que la réalité moderne.

Combien d’hommes cultivés ne connaissent plus l’émotion dramatique, ne peuvent plus vivre l’œuvre d’art des scènes modernes ! Un théâtre d’une conception nouvelle s’impose donc. Cette unité primitive, que l’on recherche à présent, existait chez Shakespeare et sur les scènes française et italienne, où un public de choix était admis près des acteurs. Dans les théâtres japonais actuels, les acteurs passent parfois directement de la salle sur la scène. S’il est vrai que le drame est possible, à la rigueur, sans scènes, sans paroles, sans costumes, s’il peut exister uniquement par les mouvements rythmiques du corps, la scène pourtant augmente, enrichit la vie dramatique quand elle fait appel aux autres arts.

Chez les Grecs même, on donnait une importance toute spéciale à l’art de la gymnastique qui constituait un lien entre les arts plastiques et la poésie. « On ne peut imaginer l’art grec sans la gymnastique grecque, dit Furtwängler. L’art plastique et le drame restaient, sans la gymnastique et la danse, imparfaits et bornés. » Il serait bon de donner également au peuple une connaissance de la musique et de la gymnastique. L’art grec nous montre à quel degré de perfection l’étude de ces arts peut élever une nation. Il s’agirait donc pour nous de faire sortir de l’union du drame et des arts un art nouveau : l’art de la scène, tous les éléments devant rester fidèles à leurs lois organiques et ne pas s’entraver mutuellement.

Un théâtre moderne doit correspondre à notre culture moderne. Un Shakespeare travaillait pour une scène donnée, pour un public donné, lors d’une civilisation dont il connaissait les besoins. Le drame fait partie du théâtre et ne se conçoit pas détaché de ce milieu : acteurs, scène, salle, public, tout cela se tient. Depuis la disparition des institutions et des formes des anciens régimes, il n’existe plus une société unique nettement déterminée : la « société nouvelle » aura son théâtre.

Notre génération se réveille d’une longue léthargie ; le brusque élan de la civilisation du machinisme a détruit les anciennes civilisations solidement établies. Dans les