Page:Roucher - Les mois, poëme en douze chants, Tome II, 1779.djvu/98

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Eh ! Comment en effet contempler froidement
Ces forêts, de la terre autrefois l’ornement,
Aujourd’hui par le fer de leur sol arrachées,
Et par tronçons épars sur le sable couchées !
Ces platanes rians, sous qui d’heureux buveurs
Du père des raisins célébroient les faveurs ;
Et ces pins et ces ifs, dont la noire verdure
Repoussa trois cens ans les traits de la froidure ;
Ces hêtres, ces cormiers, ces frênes, ces ormeaux,
Qui répandoient leur sève en immenses rameaux,
Et le haut peuplier et le chêne robuste,
Entassés, confondus avec le frêle arbuste,
Ne rappellent-ils point ces sanglans bataillons,
Dont le bras de la guerre a jonché nos sillons ?
Dieux ! Comme à cet aspect mon ame consternée,
Des ministres de Mars a plaint la destinée !
Si leur sang généreux, répandu pour l’honneur,
Du moins de la patrie eût accru le bonheur,
J’envîrois leur trépas. Mais ô gloire infertile !
À leurs concitoyens leur mort est inutile.
Que dis-je ? Ils n’ont prêté leur glaive aux conquérans
Que pour mettre la terre aux chaînes des tyrans.