Page:Roullaud - Crime d'enfants, Album Universel, 1907-01-05.djvu/7

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L’altruisme humain qui, chez les spectateurs, s’est un instant éveillé en faveur de la bête en péril, a été balancé par des considérations d’égoïsme inavoué et peut-être inconscient. De ces deux efforts opposés il résulte une bonté neutralisée qui équivaut à l’abandon. À ce moment, le chien a pourtant senti passer un courant d’amitié. Mais quoi ! la volonté est inefficace, si elle n’est secondée par l’action.

La nuit tombe. Les gamins, las d’un jeu où leur cruauté n’éprouve plus de volupté, à cause des ténèbres, sont partis en quête d’autres exploits.

Je ne vois presque plus le point noir : je n’entends plus les gémissements de la bête : le silence se fait pour la mort.

Je me détache péniblement de ce lieu, glacé dans le sentiment de la bonne volonté vaine. C’est de la vie que je laisse sans secours bien près de moi. C’est du sang qui se fige, c’est des nerfs qui sont torturés et qui vont frémir sous la tenaille de la mort, jusqu’à l’anéantissement final.

Je fais dix pas. Je me retourne.

Le point noir est presque immobile.

Je reprends ma route, toujours regardant en arrière la tache incertaine qui diminue. J’ai cru voir remuer quelque chose.

Qu’importe, puisque le sort en est jeté !

Il faut bien que le crime de l’enfance s’accomplisse.

Après tout, j’en prends ma part aussi, puisque je n’ai su que demeurer spectateur impassible de la scène lente du meurtre.

Pauvre chien !

Il a fini maintenant son temps de misère. Son cadavre va rouler tranquillement jusqu’au remou de quelque baie, où l’eau clapotante le livrera petit à petit au grand courant des choses, et fera de sa pitoyable souffrance la joie des frétillants poissons, dont nous nous délecterons au prochain carême.