Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/117

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Pour éteindre le feu, que le ciel a béni,
Il se trouve toujours quelque froid Maccani,
Homme dont la raison, inflexible et sceptique,
Semble avoir étouffé tout sentiment mystique ;
Actif représentant des esprits arriérés,
Et, ne voyant partout que des cœurs égarés,
Il rêve de soumettre à son étroite règle
Le vol de la colombe et l’audace de l’aigle !

Dès qu’il veut servir Dieu, l’homme a pour ennemis
Et ceux de sa famille et ceux de son Pays ;
L’apôtre n’est jamais prophète en sa patrie ;
C’est toujours par les siens que sa gloire est flétrie :
Au sein de sa famille, insensible à ses pleurs,
Qu’il trouve ses plus froids et plus vils détracteurs ;
Et que son cœur navré recueille pour partage
Les reproches glaçants d’un mondain parentage !
Que le traître Judas et Simon l’usurier,
Qui profanent le temple où le cœur doit prier,
À leur secrète envie égalant leur malice,
Des poisons de leur haine emplissent son calice !
Et que l’âme choisie, asile de douleurs
Ouvert à l’amitié, se ferme à tous ses pleurs ;
Et désolé Pylade, abandonné d’Oreste,
Que de ton ciel voilé l’unique espoir lui reste !…
Pour éprouver les bons et les doux innocents,
Je ne manque jamais d’habiles assistants :
Toujours plus empressés quand l’épreuve est plus rude,
Ils ont de ce métier une longue habitude ;
Les héros dans leur deuil, les saints dans leurs tourments,
Ont connu des humains les froids délaissements ;
Ils ont vu, quand la gloire a pâli dans leur vie,
Des terrestres amis la multitude enfuie !
Tandis que dans les cœurs, ou méchants ou glacés,
Sifflaient de noirs serpents, de venin tout gonflés,
Ils ont en vain cherché quelque âme sympathique,
Pour y puiser le miel d’une amitié mystique !

Mes sombres serviteurs, mes amés et féaux,
Choisissez pour agir les esprits les plus faux :
En tous lieux, je me sers des hommes populaires,
En qui sont concentrés tous les instincts vulgaires ;
Des hommes de routine, instruments complaisants,
Que je puis, à mon gré, rendre vains et bruyants.
Vous ne l’ignorez pas, quand la foule l’encense,
La bêtise par moi devient une puissance !
Choisissez, parmi tous, quelque grand fac-totum,
Qui d’un pouvoir sans règle abuse, ad libitum ;
Qui, ne doutant de rien, brasse tout à la hâte,
Et n’entrave que l’œuvre où l’héroïsme éclate.