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CRÉPUSCULE DE L’ÂME.

Séparateur

le poète.

 
Ce qu’Orphée appelait « la vision des dieux »,
Chaque âme, à l’âge d’or, l’entrevoit dans les cieux ;
Chaque âme, en son exil, l’aime, l’espère et rêve,
Sous les traits de Stella, de Béatrix ou d’Eve…
Ah ! j’ai besoin de croire et j’ai besoin d’aimer !

une voix mystérieuse.


Aime et crois ; vers le but l’espoir doit t’animer ;
Chaque âme, dans son vol, par Dieu même est conduite
Vers une âme, sa sœur, qui vers elle gravite ;
D’un sympathique amour l’irrésistible aimant
À se chercher partout les pousse incessamment ;
Même avant de se voir, elles s’aiment dans l’ombre ;
Et malgré les douleurs, les épreuves sans nombre,
Se poursuivant ainsi que deux astres amis,
Deux astres éloignés, aux mêmes lois soumis,
L’une à l’autre, ici bas par Dieu prédestinée,
Elles doivent un jour s’unir dans l’hyménée !
Pour aller se trouver au bout de l’univers,
Fallût-il traverser et les monts et les mers ;
Meurtrir ses pieds saignants aux chemins les plus rudes,
Et sans guide franchir d’arides solitudes ;
Fallût-il et combattre, « t souffrir tous les maux,
Et de fleurs d’asphodèle orner les froids tombeaux :
L’âme rencontre, enfin, l’âme sœur qu’elle rêve ;
Et dans leur union toute peine s’achève !
Aspirer, c’est la loi du terrestre séjour ;
Et c’est par la douleur qu’on arrive à l’amour :
Souffre donc, aime et crois ; au bout de la souffrance,
On cueille enfin le fruit qu’à mûri l’espérance !

le poète.


Je te crois, — j’ai besoin de croire à cet amour ;
Un même lien d’or doit nous unir un jour ;
De la terre d’épreuve oubliant la tristesse,
Je goûterai près d’elle une féconde ivresse ;
Je monterai du rêve à la réalité,
De l’aspiration au trésor possédé !