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Et partout protégée, et sans crainte toujours,
De sa vie au désert rien ne troublait le cours.
Le cœur tout rayonnant de chastes rêveries,
Des austères sommets jusqu’aux fraîches prairies,
Comme un cygne en son vol par la brise emporté,
Partout elle pouvait courir en liberté !
Rêveuse, elle écoutait, en sa mélancolie,
Soupirer dans les pins la harpe d’Éolie,
Et sur le sein dormant des flots phosphorescents
L’écho vague et lointain d’harmonieux accents.
Sous le dôme étoile, pendant la nuit tranquille,
Assise au pied d’un arbre, absorbée, immobile,
Elle écoutait le chant du whip-poor-will plaintif,
Qui charme, en l’attristant, le cœur contemplatif. —
Et puis, si tout-à-coup, bien au-dessus des nues,
Retentissaient les cris des voyageuses grues,
Blanches migrations qu’entraîne chaque hiver,
Et qui viennent s’abattre au bord du lac désert, —
À leurs cris, réveillant les échos d’Amérique,
Son cœur vibrait ainsi qu’une harpe électrique ;
Il lui semblait alors, sous le ciel obscurci,
Qu’entraînée à leur suite elle planait aussi !
Près du Niagara qu’habite le vertige,
De l’écume irisée admirant le prodige,
Émue et soulevée à sa voix d’ouragan,
Dans la brume, on eût dit la Muse d’Ossian !
On la voyait errant sur les désertes plages,
Que la vague d’azur orne de coquillages,
Et dans chaque caverne, obscur et froid tombeau,
Porter l’étrange éclat de son vierge flambeau !
Calme, elle aima toujours l’oraison et L’étude
La musique et les vers, fruits de la solitude ;
Souvent, on l’entendit, par ses pieux sanglots,
Par sa prière ardente, émouvoir les échos,
Luttant avec le dieu que peut vaincre une larme,
Qui nous ouvre ses bras et qu’un soupir désarme !
À l’ombre des forêts, sur le bord des torrents,
Où la foudre répond au bruit des ouragans,
Tremblante, elle écoutait parler la voix mystique,
Et son âme vibrait d’un souffle prophétique !
Dante, Milton, Le Tasse, Avit et Roswitha,
Et Klopstock, chantre en pleurs des deuils du Golgotha,
Tour à tour, répandaient dans son âme ravie
Un fleuve illuminant de féconde harmonie !
Alors, du haut d’un roc, mystique piédestal,
Elle laissait tomber cet hymne virginal,
Hymne jailli du cœur qu’un feu céleste embrase ;
Plaintes, soupirs, sanglots, cris sublimes de l’âme ;
Cantique intérieur des plus divins transports,
Que la Muse traduit en lyriques accords :