Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/47

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Grave et lourd fantassin de la dialectique,
Tu n’as pu revêtir l’armure scholastique ;
Et d’un pas magistral, dans un cercle glacé,
Tramer tes arguments avec un front plissé :
Du syllogisme abstrait tu n’as pas le génie ;
Ta raison se traduit en notes d’harmonie ;
Et de l’Astre divin le rayon simple et vif
Illumine, en ton cœur, le sens intuitif !
L’amour dans le repos absorbe la lumière ;
La Contemplation plane au sein du mystère ;
Et le plus haut degré de la Mysticité,
C’est l’union passive et non l’activité !
Dieu ne t’appelle pas, dans l’âpre controverse,
À répondre aux défis de l’Hérésie adverse ;
Il ne t’appelle pas, sur le forum bruyant,
À faire retentir ton verbe foudroyant :
Il t’appelle à souffrir, à chanter, solitaire ;
Ta force est dans l’amour, armé de la prière :
La prière combat autant que l’action ;
Elle exerce en repos sa domination !
La controverse, hélas ! l’active polémique,
Les subtils arguments de l’ardente logique,
L’esprit moqueur qui blesse, ou le verbe hautain,
D’un cœur sec et superbe est le partage vain !
Le zèle impérieux, amer et sarcastique,
N’a jamais triomphé de l’orgueil hérétique ;
Et tout fier polémiste, au langage incisif,
Est mu par l’amour-propre en son zèle agressif !
  Laisse aux Docteurs la lutte et l’éclat d’une thèse ;
L’étude refroidit, la science enfle et pèse :
Suis, dans les flots d’amour du céleste océan,
Le vol de Saint Denys et l’essor de Saint Jean ;
Aux portes de tes sens place une austère garde ;
Ouvre les yeux de l’âme, interroge et regarde :
De l’âme, en son repos, l’invisible Soleil
Inonde de clartés l’extatique sommeil !
Reste donc inactif, frêle et rêveur poète ;
Reste dans le repos, reste dans la retraite !
Chante et plane, ô poète, en ce ciel lumineux,
Où ne monte jamais l’esprit vertigineux ! —
Souris, espère et crois, malgré le monde hostile,
Enfant né pour chanter l’esprit de l’Évangile ;
La Muse n’a pas fui tous les terrestres lieux,
Et les chantres aimés sont encor rois et dieux ;
Avant de les chasser des villes illettrées,
On daigne encor parer ces victimes sacrées ;
Et bannis des cités, pour eux, comme autrefois,
Un céleste pouvoir habite encor les bois.
Oui, nous avons encor des poètes fidèles