Page:Rouquette - La Nouvelle Atala, 1879.djvu/59

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CHAPITRE VI


Se promenant d’un pas fiévreux, sous un chêne, dont la mousse, balancée par la brise gémissante, ondoyait au-dessus de sa tête, Issabé se parlait ainsi à lui-même ; il déclamait à haute voix, comme s’il eût été en présence d’un auditoire nombreux : Sa parole n’était interrompue que par le cri lugubre du hibou solitaire :

« O infortuné que je suis ! O le plus infortuné de toute une race infortunée ! Ce n’était pas assez pour moi de voir ma race couverte de ridicule, et accablée de calomnies par des persécuteurs au pâle visage, qui ont transformé nos villages en cimetières et nos forêts en plaines dénudées ; non ! mais il faut encore que je sois méprisé et repoussé par une fille à peau d’ébène ! Quel mauvais manitou m’a fait naître sous l’influence d’une lune de malheur ? Pourquoi une femme m’a-t-elle donné le jour ? Pourquoi l’aigle ne m’a-t-il pas pris dans mon berceau suspendu aux branches d’un chêne-vert ? Pourquoi quelque loup n’est-il pas venu à pas furtifs m’enlever de la cabane de ma mère ? Pourquoi les crocodiles ne m’ont-ils pas mangé, quand je dormais la nuit au bord des marécages ? Ma vie ne sera-t-elle pas désormais une mort prolongée ? La douleur m’a ôté toute virilité. Je ne suis plus ce que