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LE GRAND SILENCE BLANC

Jésus, le cafard du légionnaire, la bête d’orgueil et de proie… C’est lui, lui.

Lui qui nous fait chercher l’impossible, qui insuffle le doute à notre âme, lui qui gâche toutes nos joies, lui qui fait que nous ne sommes jamais satisfaits de nous-mêmes.

Allons, va, hante ma cervelle, épuise ma matière grise, repais-toi du suc de ma chair.

Que ton marteau frappe, frappe, frappe ma boîte crânienne. Va ! forgeron mauvais, poursuis ta funeste besogne :


Aux enclumes du mal notre cœur s’est forgé,
L’oubli, ce forgeron terrible s’est vengé…


Oui, j’ai cru oublier, j’ai cru pouvoir effacer de ma vie les moments pénibles. J’ai cru, en mettant entre moi et le passé huit mille lieues de mer et de terre, avoir rompu à tout jamais le lien qui me rattachait au monde civilisé, déchiré la page du livre de ma vie.

Ah ! simple que je suis !

Les voilà, les voilà, les souvenirs anciens, ils sont rangés dans mon cerveau, un à un, comme les sarcophages dans les catacombes. La bête tire le rideau et la scène s’anime… Et les pantins, qui sont des hommes, s’agitent. Tous les types de l’éternelle comédie humaine défilent, même ceux qui ont échappé à Molière et à Balzac.

Et dans la nuit s’éveillent les noires jalousies.

Le jaloux est là, ce n’est plus cette vieille loque