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LE GRAND SILENCE BLANC

de ciseaux et me sers de mon couteau de chasse.

La lame, à mon gré, n’est pas suffisamment effilée. Je la passe plusieurs fois sur la pierre.

Ceci n’est pas du goût du postier.

— Garçon, vous m’agacez les dents.

— Je suis au regret.

— Si vous continuez, vous ne saurez pas la suite.

— Gregory, mon vieux camarade, vous n’avez pas plus envie de vous taire que moi l’envie de traverser les pieds nus le lac Labarge.

— Dieu me damne si vous savez la fin !

Ma peau taillée, je m’installe à croupetons devant l’âtre qui crépite, je sors mon aiguille et je couds.

Un silence…

Gregory gigote sur sa chaise. Sa jambe est encore en capilotade. Il geint…

Je couds en mesure… Gregory, de ses doigts nerveux, joue une marche sur la table.

Je l’accompagne en chantonnant.

Le postier grogne :

— Vous n’avez pas plus de cœur que l’ours polaire et encore cet animal a l’instinct de la famille ; ainsi, un jour…

Voilà mon Gregory lancé dans une autre aventure.

Je ne puis retenir mon rire.

Mais comme il remue sa jambe malade d’une façon inquiétante, j’ai peur pour le pansement.