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LE GRAND SILENCE BLANC

— Comme je vous le dis. C’était dans le Saloon de Rupert-City ; je me chauffais, le dos au poêle, en regardant deux honorables gentlemen qui jouaient. La partie était rude, l’enjeu important. L’un d’eux gagnait avec une étonnante persistance. Il avait l’œil pétillant, et ce pli gouailleur au coin de la lèvre qui semble de la pitié et n’est que de l’insolence. Deux plis parallèles barraient le front de son partenaire et, au bas de ses joues, deux autres plis mettaient sa bouche comme entre parenthèses.

Celui-ci prend le cornet d’un geste nerveux, jette les dés : quatre rois. Son camarade saisit l’étui de cuir, place les cubes d’ivoire, un à un, avec attention, comme quelqu’un qui a tout son temps.

Il agite le cornet, paraît s’intéresser au bruit des dés prisonniers, puis il s’arrête et s’adressant à moi, il me dit :

— Vous n’auriez pas une pipée de tabac, sir ?…

Il m’agaçait cet homme avec son air suffisant ; bourru, je lui réponds :

— Je suis au regret…

— Ça ne fait rien, merci tout de même…

Il secoue les dés qui tintent et se décide à les faire rouler sur la table : quatre as…

Il avait encore gagné. Mais au moment où il ramassait son gain, l’autre lui envoya une balle dans le ventre.

Il ne poussa pas un cri : un flot de sang envahit