Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
133
MIRABEAU.

ments qu’ils ont racontés, dire librement ce que je pense.

Ceux qui font de Mirabeau le produit spontané de la Révolution et l’enfant perdu de la Liberté se trompent presque autant que ceux qui voient en lui l’inventeur et le patron de la République.

Le jour où les Etats généraux se sont réunis, il avait quarante ans. Son génie avait depuis longtemps âge d’homme, et les années patientes avaient mûri lentement les fruits de sa jeunesse.

De toutes les idées que l’orateur a soutenues à la tribune, ou que le tribun a jetées au peuple dans ses journaux, il n’en est presque aucune qui ne se trouve longtemps auparavant dans ses écrits, dans ceux de son père, dans l’œuvre des penseurs les plus graves et les plus sages ; à la surface et au fond de cette grande marée philosophique qui battait depuis cinquante ans la monarchie, et dont cette tête puissante avait bu, « comme une grosse éponge », le flot et l’écume.

Avant d’avoir ouvert la bouche pour la première fois devant une assemblée politique, Mirabeau avait pensé tout ce qu’il allait parler, écrit ce qu’il allait dire, annoncé ce qu’il allait faire. Il se croyait, de bonne foi, le sauveur prédestiné de la monarchie, le successeur incomparable de Turgot et de Malesherbes. On n’a pas le droit d’en faire, malgré lui, le précurseur de Robespierre et de Danton. Si les événements, dont il se croyait d’avance le maître, l’ont entraîné à leur suite, c’est que dans les mou-