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MIRABEAU.

mains ses destinées, ils peuvent au moins lui payer la rançon de sa liberté.

Mirabeau ne connaissait pas cet amour abject de la faveur populaire qui, dans les révolutions, asservit les petites âmes, les repaît de ses vanités grossières et de ses jouissances d’un jour. Il n’était pas l’esclave de son ambition, mais son maître. Il gouvernait à son gré cette force docile, sans lui rien céder de sa volonté, de sa raison ni de ses principes ; sans lui sacrifier même les goûts ou les habitudes de son esprit, les boutades de son orgueil ou les préjugés de sa naissance.

Ne prenez pas trop au sérieux les éloges qu’au lendemain du 14 juillet, du haut de la tribune, il adresse au peuple. Pour lui, « les vainqueurs de la Bastille sont les plus grands drôles de Paris ».

Ne le cherchez pas dans la séance du 4 août, dans cette nuit fameuse où ducs, marquis et barons, évêques, abbés mitrés et prieurs d’abbayes se pressent, se poussent, se culbutent à la tribune, se disputant l’honneur d’abdiquer les premiers devant la nation leurs droits féodaux et leurs privilèges. Hasard ou prudence, le comte de Mirabeau est absent. Il n’a rien mis à cette folle enchère. Il n’a pas risqué sa raison dans cette orgie ; et quand il en parle le lendemain, c’est avec une résignation hautaine qui ne cache qu’à demi le fond de sa pensée : « On a été bien vite. L’Assemblée était dans un tourbillon électrique, et les commotions se succédaient sans intervalle !… Longtemps nous avons