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MIRABEAU.

déroute. C’est un pur chef-d’œuvre. Pas un trou, pas un vide, pas une faute ; une discussion rapide qui va, qui marche, qui avance, qui se rassemble et se ramasse à chaque pas, poussant l’obstacle devant elle, avec la précision tranquille d’une machine que rien n’arrête. De temps en temps, une pause : « On ne me répond pas ? Je continue. » Et comme, pour son malheur, Barnave avait parlé de finesse et de piège, l’autre relève le mot, le redresse, le forge à sa main, et, pendant une demi-heure, on entend ce mot, toujours le même, qui scande la fin de chaque phrase comme le bruit d’un marteau retombant, à temps égaux, sur l’enclume : « Le piège : où est le piège ? où est le piège ? où est le piège ? »

Pendant que Mirabeau parlait ainsi, on l’accusait publiquement d’être acheté par la cour. En défendant avec tant d’ardeur les prérogatives du Roi, il ne faisait, disait-on, qu’exécuter les conditions de son marché. Le jour même où il allait répondre à Barnave, les injures et les pamphlets venaient l’atteindre jusqu’aux portes de l’Assemblée. Rien ne put ébranler sa constance : « Et moi aussi, dit-il au début de sa réplique, on voulait, il y a peu de jours, me porter en triomphe ; et maintenant on crie dans les rues : La grande trahison du comte de Mirabeau ! Je n’avais pas besoin de cette leçon pour savoir qu’il est peu de distance du Capitole à la roche Tarpéienne ;… mais ces coups de bas en haut ne m’arrêteront pas dans ma carrière. Répondez, si vous pouvez ; vous calomnierez ensuite tant que vous voudrez. »