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MIRABEAU.

avait conçus les devait seul conduire. Mirabeau devenu ministre, la Révolution se fût-elle arrêtée ? Peut-être. J’en doute ; mais, sans lui, certainement rien ni personne n’en pouvait arrêter le cours.

À chaque pas, en effet, il se heurtait à des obstacles invincibles. L’irrésolution du Roi était le pire de tous. Sans cesse combattu par des influences surannées et par des concurrences ridicules, éconduit quand il devenait trop pressant, ballotté, de mois en mois, entre les volontés de la veille et les nolontés du lendemain, dégoûté de lui-même et des autres, Mirabeau usait, à se défendre et à se maintenir, tout le temps qu’on lui faisait perdre pour avancer et pour agir. Il piétinait avec fureur dans cette impasse encombrée d’embûches et de dangers.

Dans ce désarroi de ses alliances nécessaires, la confiance démesurée qu’il avait en lui-même, l’orgueil opiniâtre et la superstition de son génie le pouvaient seuls soutenir. Arbitre inévitable de la nation et de la monarchie, il allait sans relâche de l’une à l’autre, ménageant son crédit auprès du Roi, sa popularité auprès du peuple ; pesant tour à tour sur les deux bouts de cette bascule périlleuse ; se faisant, dans l’Assemblée, plus révolutionnaire que la Révolution ; aux Tuileries, plus royaliste que le Roi. Dans cette cohue de contradictions et d’équivoques, c’est un bruit confus de projets grandioses et d’intrigues misérables, de discours éloquents et de commérages vulgaires où, il faut bien le dire, la conscience de cet habile homme achève de s’em-